Personne ne pourrait ignorer l’impact du virus nommé « COVID-19 » sur le système éducatif dans le monde et, précisément, le corpus éducatif marocain. Personne ne méconnaît la position de notre pays dans les classements mondiaux annuels des élèves marocains et aucun ne pourrait sous-estimer la vitalité des élèves marocains ni leur engagement dans la poursuite des études à l’étranger. L’apparition du virus était une réalité qui devrait pousser le Maroc à repenser le modèle éducatif et imaginer une école adaptable à la réalité marocaine ; car du copier-coller semble inopportun pour notre pays avec ses qualités, ses défauts, ses élèves, ses enseignants, ses théories, son SMIG culturel, son commun historique, son identité, son ouverture linguistique, sa religion, …

La publication de la loi-cadre 51-17 relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique[1] est une première étape et un premier pas vers le changement. Le moment venu est un moment de vérité qui dévoile l’aspect paroxystique du système éducatif marocain qui ne pourrait déboucher que sur des crises qui surviennent à chaque moment : crises des programmes, crises de qualification, crises de formation, crises d’éducation, crises d’instruction, crises d’école, inflation des réformes éducatives, …

La publication du Haut Commissariat au Plan (HCP) [2] confirme cette situation qui se manifeste à travers le creusement des inégalités éducatives renforcées par l’existence des inégalités sociales (éducation des parents, financement des études, position sociale des parents, manipulation des techniques informatiques, adaptation facile à la technologie, position régionale, …). Ce schisme inégalitaire, entre les élèves en dehors de l’enceinte scolaire les pousse à un décrochage scolaire massif et une démotivation de suivre les études à distance communément nommées « e-learning ». Jadis, l’invention d’une enceinte pédagogique, sous le sobriquet « édduba » ou école selon l’esprit mésopotamien, est une preuve que la maison, le foyer et la famille n’est pas le lieu privilégié de transmission des savoirs scolaires organisés, partagés, structurés et principalement collectivisés qui demandent la collaboration et l’assistance de plusieurs partenaires. La civilisation mésopotamienne est l’exemple-type d’une représentation scolaire dont la fonction principale était la transmission des savoirs collectifs, communs, collaboratifs et hiérarchisés à l’aide de « demu = fils de l’école », « gimeaas = collègues », « l’adda édubba = père de l’école », « sesgal = frère aîné » et d’autres[3], sous l’appellation moderne, partenaires de l’élève.

La multiplication et la différenciation des foyers d’apprentissage : un foyer pas comme les autres

L’école est un foyer commun de transmission des savoirs scolaires. C’est aussi un foyer d’interdépendance, de connexion et de synchronie entre l’enseignant et le groupe d’élèves qui partagent des connaissances et qui essayent de construire le savoir scolaire et éducatif. Le foyer ou la maison familiale, avec ses problèmes, ne permet, aucunement, cette réunion et ce travail en commun d’où l’importance de l’unicité du foyer collectif qui apaise l’iniquité sociale et détruit, même à un léger degré, les inégalités existantes et existentielles dans notre système éducatif. La méthode d’apprentissage, le niveau d’instruction et l’engagement des parents envers leurs enfants marginalisent la position de l’école et aide au renforcement des inégalités au niveau de l’apprentissage et de l’éducation. Une simple dispute entre les parents est un déclencheur de démotivation instantanée ou continuelle chez l’élève. Un marocain sur quatre a vécu des situations de conflit avec les personnes avec qui il s’est confiné soit 25,4%, un marocain sur trois a vécu des situations de conflit avec le conjoint soit 34% des marocains, 60% des marocains ont vécu un conflit avec un membre du ménage autre que le conjoint. Cette situation rétrécit l’engagement des élèves, rupture la continuité pédagogique, démotive les élèves, retarde le niveau d’assimilation et d’apprentissage et renforce les inégalités entre les catégories des élèves qui ne vivent pas dans le même foyer.

Le remplacement du foyer commun par le foyer individualisé suscite trop de controverses, d’éloignement de la quintessence scolaire et enracine la concurrence inégalitaire acharnée entre les élèves qui se différencient de par leur milieu culturel. Si le conflit entre les parents est, manifestement, créateur de divergences entre la typologie d’élève, le conflit à cause de l’accompagnement scolaire ou des soucis financiers, que les parents ont rencontré pendant la période de confinement, perturbent le déroulement de l’école en dehors du vivre-ensemble scolaire. Ainsi, 12% des parents d’enfants ont vécu un conflit à cause de l’accompagnement scolaire, 18,6% des parents d’élèves ont vécu un conflit au sujet de l’éducation des enfants et 22% des parents d’élèves ont vécu des disputes conjugales suite à des soucis financiers. Le chômage partiel ou complet des parents a impacté l’apprentissage scolaire et que compter sur la famille, pour le soutien scolaire, pour l’équipement comme pour le financement des études, c’est consacrer la reproduction et le creusement des inégalités sociales et culturelles.

L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) confirme cette tendance inégalitaire qui se renforce suite au COVID-19 entre les classes sociales « tenus à l’écart des salles de classe par la pandémie, quelques 826 millions d’élèves et d’étudiants, soit la moitié du nombre total d’apprenants, n’ont pas accès à un ordinateur à domicile, et 43% (706 millions) n’ont pas internet à la maison, alors même que l’enseignement numérique à distance est utilisé pour assurer la continuité de l’éducation dans la grande majorité des pays»[4]. Le problème des équipements matériels et informatiques est une des causes, aussi, qui renforcent les inégalités scolaires. La nécessité de l’utilisation du matériel informatique dans les foyers laisse apparaître une nouvelle forme d’inégalité dans le domaine scolaire à savoir les inégalités matérielles. L’utilisation d’un ordinateur dans une famille qui se compose, en moyenne, de 2,2 enfants par femme, selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2014 [5] profite d’un élève au détriment de l’autre voire des autres. Les statistiques de HCP, concernant l’accès aux outils et services nécessaires pour le suivi des cours à distance, maintiennent cette position inégalitaire avec, seulement, 22,4% des ménages qui ont acquis le support technologique ou un service de connexion internet. 9,7% des ménages ont acquis un Smartphone, 2,8% ont acquis un ordinateur, 0,2% ont acquis une imprimante et 15,9% des ménages ont acquis les services de connexion internet [6]. Économiquement, cette situation condamne le budget des ménages qui s’oriente vers des dépenses considérées, auparavant, pas utiles mais profitent aux entreprises du secteur numérique. Pour éviter ce problème inégalitaire, l’Uruguay, depuis la mise en place en 2007 du plan Ceibal, a distribué gratuitement plus des tablettes et des ordinateurs portables aux élèves de l’enseignement public primaire et par extension secondaire.

La manipulation du matériel informatique et le savoir-faire numérique des parents participe à cette divergence entre les élèves qui ont toujours considéré les outils informatiques comme des instruments de divertissement et non des instruments de travail et de construction des savoirs, principalement, scolaires.

La cohérence cède la place à la Co-errance

Il est prétentieux de présenter l’inefficacité des cours à distance et l’utilisation des procédés technologiques pour transmettre des morceaux de connaissance à une catégorie des enfant-élèves. La déduction de l’échec de la formation à distance n’est pas une paire de manche pour tout observateur et participant dans le système éducatif marocain. Ainsi, la publication, tardive, des cadres référentiels[7] adaptables pour l’année scolaire 2019-2020, qui se limitent aux points du programme étudiés en présentiel, est une démonstration technique que la puissance éducative reconnaisse la mise en échec de toute tentative qui sépare, physiquement, l’enseignant et l’élève.

L’espoir de la cohérence trop attendu et profondément espéré dans la loi-cadre 51-17 relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique se trouve inhibé par des décisions errantes qui partent d’un retard décisionnel, face à la situation pandémique principalement pour les classes de fin du cycle primaire, du cycle collégial et du cycle lycéen, à un échappement en matière de décision en passant par l’annulation de certains examens. Le dernier communiqué du 22 août 2020 qui donne aux parents la possibilité du choix est, ainsi, une mise en cause de la puissance administrative. Nous pouvons assimiler cette situation à un avion qui se prépare pour décoller et dont les passagers se demandent sur la compétence technique et éducative du pilote et la nature de l’aide apportée par le copilote.

La Co-errance est visible, aussi, des les calculs glacés de l’organisme chargé de l’élaboration des statistiques au Maroc qui confirme, à maintes reprises, l’échec des cours à distance : les élèves qui ont des retards d’apprentissage, ceux qui ont subi des problèmes d’addiction aux outils électroniques, des élèves qui ont des comportements de stress et troubles de concentration, d’autres qui manque d’activités physiques, des problèmes de vue et d’autres problèmes plus intenses. (Voir graphique)

Impact de l’enseignement à distance sur les individus scolarisés en % [8]

Les économistes disent et confirment que la crise est souvent un moment de vérité et d’évaluation concrète des politiques. La pandémie a fait émerger des défaillances éducatives et pousse à la nécessité de construire, par consensus national, une école marocanisée qui se rapproche de la réalité marocaine. Les cours à distance est une représentation de la nécessité d’adapter l’école aux élèves de ce siècle et de remplacer l’interrogation traditionnelle « l’école que nous laissons à nos enfants » par une interrogation constructive « les enfants que nous laissons à notre école ». L’inadaptation des élèves aux cours à distance est l’exemple-type d’un manquement technologique dans les programmes scolaires, d’une marginalisation du pouvoir technologique au service des élèves et d’une mauvaise utilisation de la technologie informatique. L’apparition des inégalités électroniques a une incidence sur le déroulement de l’enseignement et sur la continuité pédagogique tellement médiatisée. Presque une personne sur six (17,3%) scolarisée considère que les cours à distance couvrent entièrement le programme scolaire. 68,3% des personnes scolarisées considèrent que les cours à distance ne couvrent pas totalement le programme et 14,4% des personnes scolarisées sont indécis des cours à distance selon le statisticien du Royaume le Haut-Commissariat au Plan.

Les statistiques publiées par HCP témoignent du renforcement des inégalités scolaires issues des inégalités sociales et financières. SI le foyer collaboratif scolaire permet d’assurer la continuité d’un système quasi-égalitaire, le foyer parental dégrade l’égalité scolaire. L’évidence d’un schisme culturel, professionnel et financier entre les foyers laisse apparaître des incompréhensions fatales, d’où la recherche d’autres alternatives dans la compréhension des concepts, des idées, du programme scolaire voire des leçons : presque 27,9% des personnes scolarisées comptent sur le soutien des parents, des proches ou des voisins et 13,2% des personnes scolarisées comptent sur les cours de soutien scolaire en mode présentiel une fois le confinement levé. L’interrogation est plus évidente pour les 58,9% des personnes qui n’ont pas les moyens techniques et financiers qui leur permettent de compter sur les autres.

Et si l’action de l’administration toute puissante et impuissante creuse les inégalités entre les systèmes scolaires sur le territoire national ?

Les inégalités se creusent entre les élèves issus de deux systèmes scolaires différents pratiqués sur le territoire national. Si l’État français a décidé d’annuler les examens du baccalauréat[9], en donnant à tous les bacheliers la possibilité d’avoir leur diplôme, la situation des bacheliers marocains est différente. La décision du ministère marocain de l’éducation nationale, qui maintien les examens principalement du baccalauréat laisse apparaître une autre forme d’inégalité entre les deux systèmes scolaires enseignés au Maroc. L’élève-marocain qui a subi, durant quatre mois, le stress de l’examen national du baccalauréat se trouve, sur les bancs de la faculté marocaine, avec un autre élève, marocain ou étranger, issu du programme français qui a profité d’une période des vacances prolongée et qui n’a, aucunement, subi, à la fois, le stress de la préparation des examens nationaux ni la peur d’être infecté par les autres élèves. L’élève issu du programme français se trouve, alors, privilégié par rapport à l’élève issu du programme marocain. La simple comparaison entre ces deux systèmes éducatifs est basée sur l’existence quantitative des établissements scolaires qui proposent un enseignement français au Maroc.

Et si les inégalités touchent aussi les enseignants dans le système scolaire privé ?

La pandémie est un moment de vérité qui nous pousse à adapter notre système scolaire, public et privé, à une réalité qui ne cesse de changer en fonction des situations. Les enseignants dans le système scolaire privé se trouvent, suite à la pandémie, marginalisés et mis à l’écart. Ils deviennent, à peine, des auxiliaires de l’éducation nationale et non un partenaire qui fructifie et permet de faire développer le système éducatif marocain [10]. Ces auxiliaires ont subi des tensions qui ont des conséquences sociales néfastes sur l’économie et sur l’enseignant : de la réduction du salaire au licenciement des enseignants en passant par les insultes, des écoles privées y compris du corps professoral, sur les réseaux sociaux.

Les actions et les compromis du moment peuvent-ils suffire ? Ne faut-il pas s’orienter vers les partenaires de l’élève qui comprennent et peuvent faire comprendre la situation et l’enjeu du moment ? Il est censé revenir aux fondamentaux de l’existence d’une école égalitaire, une école qui regroupe le pauvre et le riche, une école dont le mot d’ordre est le métissage, une école compréhensive, une école qui s’oriente vers l’avenir et qui oriente sur la base du vécu marocain, une école qui nie le copier-coller international mortifère de l’identité nationale, une école qui édifie son programme sur la base du SMIG culturel, une école créatrice, dirigiste et ambitieuse. Mais si cette école confond l’égalité libérale et l’équité !

[1] Dahir chérifien n° 1.19.113 du 9 août 2019 concernant la loi-cadre n° 51.17 relative au système d’éducation, de formation et de recherche scientifique.

[2] HCP. « Rapports sociaux dans le contexte de la pandémie COVID-19. 2ème panel sur l’impact du Coronavirus sur la situation économique, sociale et psychologique des ménages ».

[3] « Histoire de l’éducation, des origines à 1515 » Tome 1. Publiée sous la direction de Gaston MIALARET et Jean VIAL. Édition : Presses universitaires de France.

[4] Communiqué publié le 21 avril 2020 rapporté par le monde diplomatique n° 795 dans un a article intitulé « Travail, famille, WI-FI ». Juin 2020. Pages 18 et 19.

[5] HCP. « Projections de la population et des ménages 2014-2015 » Mai 2017.

[6] HCP. « Rapports sociaux dans le contexte de la pandémie COVID-19, 2ème panel sur l’impact du Coronavirus sur la situation économique, sociale et psychologique des ménages ».

[7] Le retard, de presque deux mois, de la publication des cadres référentiels adaptables pour l’année scolaire 2019-2020 a mis les enseignants et les élèves dans un dilemme entre la révision des thèmes étudiés ou terminer le programme du baccalauréat.

[8] Le graphique est tiré du rapport publié par HCP sur la situation du contexte du COVID-19.

[9] Décret nº 2020-641 du 27 mai 2020 relatif aux modalités de délivrance du baccalauréat général et technologique pour la session 2020.

[10] La comparaison entre les enseignants fonctionnaires et ceux dans le système scolaire privé fera l’objet d’un autre article.